Misogyne, misanthrope, démago… De polémique en polémique, l’idole de ma jeunesse a fini par briller moins fort au firmament de mes étoiles personnelles. Voire même, par s’éteindre.
Adolescente, je me définissais comme une intello exigeante. En réalité, j’étais une morveuse boutonneuse et condescendante. Mes goûts musicaux confirmaient cet état de fait. En effet, j’aimais prétendre ne pas écouter la soupe populaire et me tournais plutôt vers des groupes obscurs. En réalité, mes consorts se pâmaient pour la même mêlasse soi-disant rock’n’roll et rebelle que moi. J’aimais Eths, Aqme, Pleymo, MyPollux et Fall Out boy. Également les chanteurs engagés. Et plus particulièrement, Damien Saez.
Fanatique
Damien, c’était tout pour moi. Dès le collège, j’ai tapissé les murs de ma chambre avec son portrait. J’avais tagué son nom au Tipp-Ex sur toutes mes affaires de cours. De même qu’un patch Saez rouge brique ornait mon Eastpack rose fuchsia. Avant cela, la citation « Nous sommes jeunes encore, mais l’avenir est mort » décorait mon sac à dos de marque anonyme. Ses mots me révoltaient autant qu’ils me faisaient vibrer. Je me souviens aussi avoir écrit : « Si l’amour est un temple et qu’il y faut prier, comme on prierait le ciel, si l’amour est un temple, toi tu seras ma religion » sur le pourtour de la porte de ma chambre.

Fan. J’étais fan. Pathétiquement fan. J’ai pleuré au concert quand il a chanté Montée là-haut. Pour me sauter, il suffisait de connaître les quelques accords d’À ton nom à la guitare. Avec le recul, je m’aperçois de la faiblesse de certains textes, teintés de démagogie et de poncifs juvéniles faciles. Pourtant, il en est que je sauve, encore. Saint-Pétersbourg et Il y a ton sourire en font partie. Dernièrement, j’ai retrouvé dans ma bibliothèque le recueil À ton nom. J’y ai lu :
La solitude, celle du hasard. Tu sais bien, la solitude, celle dans laquelle on se noie à petit feu, comme une drogue dans le sang, celle qui vous arrache au néant et qu’on ose appeler la vie.
Chanteur pour ados
Je le concède, ces lignes baignent dans le stéréotype du spleen adolescent. Or, elles m’ont renvoyée à mon moi de 14 ans. Ce petit moi alors en crise, entre bouillonnement d’hormones et questionnement philosophique. Destinée à la section littéraire, je lisais Vian et Despentes, en écoutant Noir Désir et Nirvana. J’étais cet archétype, la cible marketing évidente de la machinerie Saez. Quoi qu’il s’en défende, le chanteur était et reste un produit de l’industrie musicale. Il répond à une demande. Et j’en ai réclamé.



J’en ai d’ailleurs réclamé longtemps. Après le lycée, j’ai encore acheté l’album J’accuse en 2010 – sorti un 29 mars, date de mon anniversaire. Également Messina en 2012 et Miami en 2013, toutefois plus par entêtement. En effet, j’ai le souvenir que ces deux disques m’ont ennuyée, lassée. J’ignorais alors que j’avais tout bonnement passé l’âge. Car là fut ma douloureuse révélation en feuilletant les pages d’À ton nom. Saez n’est, dans le fond, qu’un chanteur pour adolescents. En est-il un bon ? La question demeure.
Le poids de l’âge
Son univers sonore, de Jours étranges à J’accuse, se révèle, avec le recul, assez pauvre. De même que sa voix nasillarde n’est pas nécessairement des plus mélodieuses. À sa décharge, il porte un héritage grunge et punk, qui excusent quelque peu ces manquements. Quant aux textes, s’ils souffrent des défauts précédemment évoqués, l’homme a tout de même une plume. Saez ne comptait donc pas parmi les pires dans sa catégorie. Mais, alors ? Qu’est-ce qui a changé ?
Pourquoi P’tite pute ? Pourquoi la misogynie ? Pourquoi la haine ? Je crois que nous, qui aimions Saez à 16 ans, avons vieilli. Damien, lui, en est resté à sa recette mélancolique pour adolescents. Problème : il a vieilli, lui aussi. Il s’est aigri. Les cibles de la jeunesse ont changé, tandis que lui garde le fusil pointé dans la même direction : consumérisme, consommation, superficialité. Il ne s’adresse plus qu’aux vieux cons. Adolescents attardés, révoltés d’hier, déconnectés.
Au secours, fuyons
Je ne peux m’empêcher d’être triste. J’aurais aimé que Damien négocie mieux le virage de l’âge. Qu’à défaut d’être encore écouté, il devienne au moins une figure du passé. Peu importe sa qualité relative, cet homme avait décrit une relation homosexuelle et le plaisir qui en découle dans Défoncé, défonce-moi. Il avait crié que la sexualité n’avait pas à s’encombrer de valeurs morales dans Marie ou Marilyn. J’aurais aimé que cet héraut reste. Prisonnier d’une époque révolue, il s’est perdu dans le ridicule, puis s’est abîmé. Or, parfois, il est nécessaire de savoir baisser le rideau.
Au revoir Damien,
